La sinistre réalité
à Saint-Pierre-de-Clairac

Préambule

 

Au lendemain du débarquement des forces Alliées en NORMANDIE, le 7 juin 1944, des troupes allemandes envahissaient le village de SAINT-PIERRE-DE-CLAIRAC, situé près d’AGEN (Lot-et-Garonne). 9 affiliés résistants, dont 7 du village, et 2 patriotes non engagés furent arrêtés et exécutés par balles, sous l’accusation de détention d’armes et d’actes "terroristes". 

L’expédition punitive, véritable acte de barbarie, fut perpétrée par une colonne Waffen-SS de la division DAS REICH qui assistait la Gestapo d’AGEN dans une opération contre la résistance du Corps Franc-Pommies. 

La tragédie de SAINT-PIERRE-DE-CLAIRAC constituait l’aboutissement d’une opération plus large menée ce 7 juin 1944.

A l’origine du drame, l’inconscience d’un membre du réseau de résistants allait permettre sa dénonciation par un milicien. La Gestapo d’AGEN procédant ensuite à une série d’arrestations et de tortures, allait d’abord mener les Allemands et les miliciens au Château de LACLOTTE, commune de CASTELCULIER où ils firent 6 victimes, puis au château de CASTELCULIER, avant de se rendre au village de SAINT-PIERRE-DE-CLAIRAC où ils firent 11 victimes.

Ce récit retrace les évènements survenus le 7 juin 1944 au sein du village de SAINT-PIERRE-DE-CLAIRAC. Il est précédé des éléments survenus en amont et qui sont nécessaires à la  compréhension de l’ensemble des faits.

Ce travail est le résultat de nombreux témoignages obtenus auprès de survivants de la tragédie et recoupe les dépositions et enquêtes officielles réalisées à la Libération (voir les références, en particulier le rapport de la Police Judiciaire établi en mai 1946).

Ce récit est dédié à la mémoire de toutes les victimes de crimes de guerre et de la barbarie nazie.

 

Récit de la tragédie

Après le débarquement, en soirée du 6 juin, les résistants se mobilisent à l’appel de Londres

Le 6 juin au soir, les résistants de SAINT-PIERRE-DE-CLAIRAC entrent en possession d'un armement individuel, de même d'ailleurs que les trois antennes rattachées à ce groupe. La distribution est organisée par JUTEAU, après qu’il ait récupéré avec MAINGUET et BALSAN les armes destinées au groupe de SAINT-PIERRE dans l’après-midi du 6 juin au domicile de Guichard à Bon-Encontre.

De son côté MAINGUET assiste en sa qualité de chef de groupe local de SAINT-PIERRE-DE-CLAIRAC à un rassemblement du réseau sous forme de conseil de guerre présidé par STREIFF (responsable de cette compagnie au sein du bataillon d’Agen, groupement Nord-Ouest du CORPS FRANC POMMIES) avec ses officiers les abbés Pierre FRISCHMAN et Pierre MAUREL, réunion à laquelle participaient également Raymond GUICHARD et André MAZEAU.

Le groupe STREIFF se sépare au petit matin du 7 juin après avoir accompli les derniers préparatifs pour commencer une action effective et armée contre les allemands dans la soirée. L'armement dont il dispose à la suite de nombreux parachutages apparaissant comme très sérieux (mitraillettes, fusils, grenades, munitions abondantes etc…) et particulièrement apte à opposer en toutes occasions une riposte sévère à l'occupant.

Mais dans le même temps, une imprudence et une dénonciation se préparent

Dans l’après-midi du 6 juin, le résistant JACQUES, réfugié lorrain, échange avec un voisin qui vient quotidiennement d’Agen s’occuper du jardin attenant son domicile. Il lui fait état de son appartenance à la Résistance et des préparatifs armés en lien avec le débarquement. Ce voisin est le père du jeune milicien Jean LANGE, qui se retrouve informé de cet échange. 

Jean LANGE dénonce JACQUES au Sipo-SD d’Agen 

[nota: Cette dénonciation est à l’origine d’une succession d’événements tragiques qui vont émailler cette journée du 7 juin 1944. Jean LANGE a été condamné à mort par contumace (0), jamais retrouvé... et pourtant décédé en 2001 en région parisienne].

Ainsi, le 6 juin au soir la Police allemande d'AGEN entre en possession de renseignements précis sur la qualité de résistant de JACQUES, et son arrestation est immédiatement décidée.

Au matin du 7 juin, la Gestapo lance les arrestations

A 1h du matin, la première arrestation est donc celle de JACQUES, à son domicile à Sainte-Radegonde. C’est le gestapiste Prosper DELPUCH alias « Bouboule » assisté de membres de la Gestapo et des miliciens dénonciateurs qui procède à l’arrestation. Rentré à Agen, « Bouboule » avise Henri HANACK, dit « Le Balafré », agent français de la Sipo-SD. Celui-ci obtient de JACQUES des informations sur Raymond GUICHARD, dont il est l’adjoint dans le groupe de résistance. HANACK organise et participe aux arrestations suivantes.

A 4h du matin, Raymond GUICHARD et sa famille sont arrêtés à leur domicile de Bon Encontre. GUICHARD est chef de section, chargé des armes au sein de la compagnie STREIFF. GUICHARD, durement torturé par HANACK, parle.

Vers 8h30, la voiture de ESCH ayant été découverte chez GUICHARD, et celui-ci étant venu en reprendre possession, il est capturé avec STREIFF qui l'accompagne. 

Vers 9 heures 30, quatre des membres principaux de la compagnie STREIFF "CORPS FRANC POMMIES" - JACQUES, GUICHARD, STREIFF et ESCH, sont donc entre les mains de la Gestapo. Il devient dès lors facile pour la Gestapo, vu les renseignements recueillis et par des "interrogatoires musclés" de déclencher les autres opérations et cela, à coup sûr.

Ainsi, en milieu de matinée, la Gestapo d'AGEN détient une grande quantité de documents, de cartes, de renseignements précis sur le groupe STREIFF, soit par leurs découvertes sur leurs détenteurs, soit par recoupements, soit par aveux. Ce qui va directement déclencher le même jour des expéditions punitives, avec des moyens appropriés.

En fin de matinée le 7 juin, les allemands donnent l’assaut sur LACLOTTE

Les allemands forment aussitôt une colonne comprenant outre la Gestapo d'AGEN, un détachement de S.S., qui se dirige sans hésiter vers le château de LACLOTTE, amenant avec eux GUICHARD. Dans l’assaut un soldat allemand est tué ainsi que le résistant MAZEAU, GOERIG, qui l’épaule, est blessé. Les six autres résistants, alors présents, parviennent à prendre la fuite. Furieux, les SS incendient le château et exécutent GOERIG et quatre otages qui n’ont aucun lien avec la Résistance et dont le seul crime est leur présence dans l’environnement du château.  Avant de quitter les lieux, les Waffen S.S pillent, puis incendient la ferme AFFLATET, proche du château, obligeant même les épouses des victimes civiles à leur servir à boire et à manger.

Le convoi prend ensuite la direction de CASTELCULIER

Après leur forfait, les allemands, toujours en convoi se dirigent vers le site de l’ancien château de CASTELCULIER, situé sur le côteau d'en face, dont ils font vainement l'assaut car ils n'y trouvent ni hommes, ni le dépôt d'armes supposé.

La colonne ne s'attarde pas et se dirige alors vers ST PIERRE DE CLAIRAC où va se dérouler une tragédie sans comparaison avec ce qui l'a précédée

GUICHARD figure toujours dans la colonne dont le seul élément français reste vraisemblablement HANACK, le restant se composant uniquement de membres du SIPO-SD d’AGEN et des S.S. de Valence d’Agen.

Pendant ce temps à SAINT-PIERRE-DE-CLAIRAC

A SAINT-PIERRE-DE-CLAIRAC, le chef local de la résistance, MAINGUET, est informé dans la matinée du 7 juin, de l’opération menée par les Allemands au château de LACLOTTE, distant de 5/6km (cf témoignage A ROUX, M MAINGUET).

Il n’en tire aucune conséquence et il continue, avec son adjoint JUTEAU venu par trois fois chez lui ce matin du 7 juin, les préparatifs des actions que devra mener la résistance suite au débarquement. 

A 15h, les Allemands investissent le village de SAINT-PIERRE-DE-CLAIRAC

La colonne SS conduite par Henri HANACK cherche, en s'appuyant sur des renseignements très précis à arrêter MAINGUET et JUTEAU, seuls connus et têtes de la résistance locale.

Les allemands envisagent pourtant, si l'on tient compte de l'accompagnement de la colonne SS, la possibilité d'un engagement entre eux et le maquis local.

Ainsi, vers 15H, un premier véhicule SS stoppe précisément devant l’épicerie MAINGUET. 

Mme MAINGUET, qui est dans l’épicerie, les voit et dit à son mari qui est avec JUTEAU, dans la cuisine « les voilà ».

Aussitôt MAINGUET entraîne JUTEAU vers la porte qui donne dans la salle de bal et s’échappent par une fenêtre arrière s’ouvrant sur la petite place du puits public. Tous deux s’enfuient par les champs bordant le petit ruisseau de Bouet qui descend du vallon en direction du lieu-dit ROUGÈRES (c’est là, qu’ont été logés JUTEAU et BALSAN son beau-père, tous deux réfugiés de la MAYENNE).

Le chef et son second, dans leur fuite, sont passés à quelques mètres de Georges GAENTZLER et Marie son épouse qui sont dans leur jardin, situé aux abords immédiats du village. Témoignage de Marie  GAENTZLER (2) : « mon mari et moi avons vu passer ou plutôt courir MAINGUET avec JUTEAU, semblant tous deux complètement affolés. Mon mari a alors crié à MAINGUET qui était à quelques mètres de lui : « Qu’est-ce qu’il y a ». Ni MAINGUET ni JUTEAU, non seulement pas tourné la tête vers nous et se sont enfuis sans répondre » !...*]

Pendant ce temps, la colonne SS cerne le village et procède au ramassage des habitants qu'ils rassemblent au fur et à mesure devant l'épicerie MAINGUET.

Une liste tragique découverte dans l’épicerie MAINGUET

Ici se place un fait d'une toute particulière importance, car de lui dépend l'exécution des patriotes de SAINT PIERRE DE CLAIRAC : la découverte et l'utilisation par les allemands, chez MAINGUET, d'une liste, probablement partielle, portant en clair les noms de résistants du village, et en face de ceux-ci mention de l’arme correspondante.

[* L’analyse et le recoupement de nombreux témoignages ont permis aux inspecteurs de la PJ de formuler une conclusion à ce sujet: « … l'affirmation de MAINGUET selon laquelle il aurait détruit sa propre liste avant midi, s'est avérée mensongère, ce qui induit naturellement à croire que c’est bien cette liste qui a été découverte et utilisée par la Gestapo pour fusiller les patriotes de ST PIERRE DE CLAIRAC ». (…)

En fait en rapprochant ces déclarations de celles de Mme MAINGUET (P.V. 27) de sa mère Mme DOUMIC (P.V. 6), Mme BALSAN (P.V. 7) et enfin de celles recueillies auprès des parents des fusillés, il apparaît comme extrêmement logique de poser l'hypothèse suivante.

JUTEAU, avant l'arrivée des allemands, avait dû remettre à son chef MAINGUET, la liste qu'il avait lui-même établie pour l'armement réparti et que dans le même laps de temps, probablement entre midi et 14 heures, tous deux avaient établi avec leurs documents respectifs une liste unique portant "bouchons" effectifs, et attribution respective d'armes qu'ils finissaient de dresser au moment de l'irruption des allemands chez MAINGUET.

Conclusion extraite du rapport de la PJ établi en mai 1946*].

Un innocent pris en otage

C’est donc munis de la liste trouvée dans l’épicerie, que les Allemands, prennent en otage Pierre DOUMIC. Ce dernier est le beau-père de Mme Yvette MAINGUET (il est le troisième mari de sa mère). Il habite l’épicerie avec son épouse, sa belle-fille, son mari Maurice MAINGUET et leurs deux jeunes enfants. 

Les allemands décident alors de se faire piloter chez chacun des répertoriés, et en priorité chez JUTEAU.

Première destination ROUGÈRES

Sur le trajet vers ROUGÈRES, Etienne CASTELNAU qui charge le foin dans le pré face à leur ferme de l’autre côté de la route de PUYMIROL, rapporte : « Nous chargions le foin, avec mon père et ma mère. Est apparu JUTEAU, seul, débouchant du chemin venant du village, qui courrait vers son domicile et qui nous a crié « partez les boches arrivent ». Dans la minute, les boches arrivaient, déposaient sur la petite butte un soldat avec une mitrailleuse qui prenait position et poursuivaient vers le domicile BALSAN. Il n’y a pas eu de combat, tout au plus quatre coups de feu. Très vite, les Allemands repartent. Mon père s’est rendu chez BALSAN où la maison avait été incendiée. JUTEAU et BALSAN avaient été abattus. Plus tard, les deux malheureux ont été récupérés par deux villageois, GALAN Marcel sûr, le second il ne sait plus ».

JUTEAU qui a eu le temps de faire fuir la grand-mère avec sa fille (18mois). A l’arrivée des Allemands, il a tenté de s’échapper en dévalant le pré à l’arrière du domicile. Il n’était plus qu’à quelques mètres du bois. Il est abattu, puis achevé sur le bord du chemin où le trouveront René CERATO accompagné de sa sœur Germaine et sa cousine Marcelle, rentrant chez eux au retour de l’école. René se souvient d’avoir été arrêté avec Germaine et Marcelle par un soldat qui les a fait se tapir à la Croix de Passères dans le fossé et qui, une fois l’opération terminée, les a laissés repartir. C’est donc vers 16H/16H30 que les trois enfants trouvent JUTEAU tué, couché sur le ventre la tempe trouée par le coup de grâce sur le bord du chemin.

Deuxième destination chez LASJUNIES

De là, les Allemands, conduits par DOUMIC leur otage, foncent chez LASJUNIES. Mme Bruno POLONI (Ex Mlle Jeanine LASJUNIES, citée par La Nouvelle République du 4/10/1944) se souvient parfaitement des évènements. Voici son témoignage reçu en novembre 2004 :

Nous étions encore à table ce 7 juin 1944 avec Mme CARRITA et sa fille, qui était venue nous aider à épamprer la vigne, quand vers 14H-15H est arrivé Louis MOYNIÉ. Il venait nous informer de l’investissement du village par les Allemands. Aussitôt mon père a décidé de partir travailler avec sa paire de vaches à la vigne hors de vision de la ferme. Il doit ainsi sûrement à Louis MOYNIÉ d’avoir échappé aux boches.

Un véhicule est arrivé peu de temps après à notre domicile, en sont descendus les Allemands. Elle se souvient de l’extrême pâleur de DOUMIC dans la voiture.

Avec ma mère, alors enceinte de ma future sœur, madame CARRITA et sa fille, nous avons été sommées de dire où était le père terroriste possédant une arme. Nous ignorions qu’il possédait une arme et puisse appartenir à un groupe de résistants. J’affirmais que mon père n’avait pas d’arme et qu’il était parti travailler on ne savait où. Un Waffen SS énervé me « colle » sous les yeux une page de cahier d’écolier, en prenant soin de ne laisser apparaître qu’une ligne – les autres restant cachées par ses mains - où est manuscrit en écriture attachée le nom « LASJUNIES » et en face « mitraillette ».

Pendant que terrorisées nous sommes gardées sous la menace d’une arme, ma mère est brutalement conduite à l’intérieur de la maison pour une fouille à la recherche de la mitraillette.

Je me rappelais alors, qu’en prévision d’une « battue au sanglier » mon père conservait dans sa chambre des cartouches dans une boîte en métal sur le dessus de l’armoire. Armoire très haute, sur le dessus de laquelle on ne pouvait accéder même avec une chaise et qui frôlait le plafond. Je garde en mémoire la peur de cette découverte, qui imaginais-je, aurait été catastrophique pour nous. Les Allemands repartiront sans avoir rien trouvé. Aussitôt partis, je me suis précipitée dans la chambre, me suis constituée un échafaudage, ai récupéré les cartouches et le cœur battant ai été les jeter dans le puits en contrebas de la maison.

Pendant ce temps, madame CARRITA est partie à la vigne informer mon père de la venue des boches chez nous, et a ramené les vaches.

Mon père n’est revenu à la maison, qu’après la libération d’AGEN, deux mois plus tard environ. Il était parti vers ST ROMAIN se réfugier auprès d’un oncle de MAINGUET, car telle devait être la consigne en cas de problème. Oncle, ami de notre famille, qui est revenu plusieurs fois à la maison chercher de la nourriture pour mon père.

Il doit être l’un des rares, sinon le seul, porté sur « la liste que j’ai vue », à avoir échappé à l’exécution, grâce à Louis MOYNIÉ d’abord et Mme CARRITA ensuite. L’arme je n’ai jamais su où elle était.

Pendant ce temps au cœur du village

Pendant ce temps, tous les hommes à l’intérieur du périmètre établi par les Allemands autour du village, sont arrêtés et systématiquement regroupés devant l’épicerie. 

Emile ROUTABOUL et Gabriel DOSTES ensemble dans l’atelier du premier sont immédiatement arrêtés. 

De même Jean SERCAN, lui aussi dans son atelier, et GAENTZLER dans son jardin sont parmi les premiers, à être rassemblés.

Un peu plus tard, Raymond FROSSARD et Gabriel DOSTES répertoriés sur la liste, sont ramenés chez eux, pour qu’ils restituent leurs armes. Ainsi, Mme TUFFAL de Puymirol (ex Mlle Agnès CASTELNAU, sœur d’Étienne) a été témoin de l’arrivée par le pont de St Pierre, de la colonne, alors qu’elle sarclait du maïs. Sa réaction a été de se réfugier chez les FROSSARD, leurs locataires. Elle a donc été témoin de l’injonction faite à Raymond de restituer son arme et qu’ainsi il ne lui arriverait rien !... ce qu’il a fait. Il a donc été ramené avec son père vers l’épicerie. 

Mme BOURGADE (ex Mlle Annie GALAN) se rappelle le véhicule allemand, roulant très lentement, et le jeune Marcel CASTEX à l’arrière que les allemands amenaient vers son domicile aux fins de perquisition. Ils l’avaient trouvé porteur de deux grenades.

L’énigme FONTAINE

Guy DUPRAT, qui ayant obtenu son certificat d’études, n’allait plus à l’école, aidait dès lors aux champs, garde mémoire de la longue halte de Marcel FONTAINE discutant avec son père et qui plusieurs fois a déclaré : « il faut que j’aille à St Pierre prévenir le chef ». A l’approche du village, FONTAINE est arrêté. De quoi était-il porteur ?...Dans le journal LE PATRIOTE d’octobre 44, Arthur ADER auteur de l’article, indique que, comme CASTEX, il a été giflé par HANACK (*), pourquoi ?... GUICHARD qui avait été sorti du véhicule d’HANACK et regroupé avec les hommes de St Pierre l’a bien sûr reconnu, il est membre de son groupe et il rapporte le fait dans ses dépositions (2-3).

Souvenir à jamais gravé

Mme Dorino ELLERO (ex Mlle Josette SERCAN 9ans1/2 à l’époque) raconte : Nous étions en classe avec M. ADER ; vers 15H, un camion stationne sous le tilleul face à la classe. Peu de temps après trois allemands en tenue viennent brutalement arrêter notre instituteur (voir ses récits dans le journal LE PATRIOTE des 19 et 20 octobre 1944), qui nous dit : « les enfants, rentrez chez vous ». Dès lors, je vais me déplacer dans le village, sans être interpelée, à la recherche de maman et de mon petit frère pendant une heure. Je vais de la maison à l’épicerie, devant laquelle les hommes ont été rassemblés, tandis que les femmes ont été regroupées face à eux sous le marronnier. Je revois toujours papa, livide ; ce sera ma dernière vision de lui. Je réentends Marie GAENTZLER, les deux ou trois fois où je suis retournée près d’elle, me dire : « Josette ne reste pas là va retrouver maman ». Après avoir erré une heure environ, j’ai enfin pensé à rejoindre ma petite sœur dans la classe des petits de madame ADER.

Le cas BAZILLE, qui n’appartenait au groupe

Marius BAZILLE, future victime, est venu à St Pierre ce 7 juin 44, accompagné de son frère Léon. Marius était réfugié avec sa femme et ses trois enfants à St Caprais de Lherm. Il était sous-lieutenant FFI à Sète (une rue porte depuis son nom). Ils viennent d’apprendre l’affaire de LACLOTTE, ils connaissent bien Antoine ROUX de St Pierre avec qui ils sont en rapport. Ils décident donc d’aller en informer l’épicier MAINGUET dont ils connaissent le rôle. A l’approche du domicile du maire de St Pierre, ils aperçoivent des Allemands. Aussitôt Bazille intime l’ordre à son frère, sans papier, de plonger dans le fossé bien que broussailleux. Léon se cache sous le pont derrière « Malgat » où il retrouve un homme qu’il ne connaît pas. En fait, il s’agissait de M. FONTANAC (son fils Jean m’a confirmé l’anecdote). Ce dernier travaillant sur un toit des bâtisses du maire, a vu la colonne arriver et a donc cherché un abri. Marius, se croyant porteur de ses papiers, a donc continué seul. Conscient d’être contrôlé, il met ses mains dans sa veste et réalise qu’il ne les a pas sur lui. Alors, il va essayer de fuir à travers champ, face au domicile MOYNIÉ, il est grièvement blessé, une balle lui a traversé l’abdomen. Les Allemands le récupèrent et l’amènent au camion arrêté devant la mairie. Il y est soigné dans un premier temps puisqu’il sera retrouvé avec un bandage autour du ventre.

Le crime

Un peu avant 17H, dans le centre du village, devant l’épicerie HANACK est porteur de la liste. 

Il fait l’appel des noms de ceux détenant des armes et les fait sortir du rang :Gabriel DOSTES, Raymond FROSSARD, Georges GAENTZLER, Émile ROUTABOUL et Jean SERCAN s’avancent.

HANACK ajoute à ce groupe Pierre DOUMIC (leur otage) et Marcel CASTEX (trouvé porteur de grenades), bien que ces deux derniers n’appartenaient pas au groupe (3). 

HANACK ajoute aussi Marcel FONTAINE. 

Ainsi, comme le rapportait André BUSQUET dans La Nouvelle République du 4 octobre 1944, ce sont bien huit hommes qui sont emmenés de l’épicerie. Au passage, Marius BAZILLE est aussi ajouté, il va être le neuvième des exécutés. 

Le groupe est mené vers la sortie du village, à l’emplacement de l’actuel monument aux morts.

Les SS de la DAS REICH qui les encadrent alors les massacrent. 

Pendant ce temps, le bâti « domicile épicerie MAINGUET » est incendié. 

Le convoi SS quitte le village vers 17H et GUICHARD est ramené, dans la voiture d’HANACK, à AGEN.

Malgré l’interdiction faite par HANACK et les allemands d’aller relever les corps et la menace de représailles, ADER, GALAN et d’autres… iront après leur départ ramasser les victimes. DOSTES et CASTEX qui ont essayé de fuir à travers champ ont été massacrés de la pire des façons.

Qu’est devenu le « chef local » Maurice MAINGUET ?

A la tombée du jour, son épouse Yvette MAINGUET inquiète, demande à Louis SIMON (2), André BOUYSSÉS (5) et Marie GAENTZLER (2) - elle qui les a vus s’enfuir et dont le mari a été exécuté - de partir à sa recherche. 

Sans doute a-t-il été tué, comme son adjoint ?...

Le groupe va retrouver Maurice MAINGUET(2), caché dans le lit du ruisseau de Bouet. 

MAINGUET est donc resté depuis 15h dans le lit du ruisseau qui descend du vallon, proche du pont de la route de PUYMIROL, face au domicile de Mme Zélia AUVERGNON. Celle-ci, vers 18H s’est retrouvée face à lui, alors qu’il esquissait une sortie – le fils de Zélia, Guy, a rapporté le fait – lui demandant : « qu’est-ce que vous faites là », il avait replongé dans sa cache.

MAINGUET n’avait donc même pas accompagné son second jusqu’à son domicile, alors que des armes y étaient encore cachées dans la grange où avait eu lieu la distribution la veille au soir.

Il partira ensuite se réfugier à ST URCISSE, chez un oncle M. COSTES, à la ferme « Combe Maurelle », où il restera caché avec Charles LASJUNIES jusqu’au départ des Allemands du département. La déposition du cousin (4) explique tout cela.

 

Conclusion

La totalité de l’affaire est parfaitement rapportée dans les diverses dépositions à la Police Judiciaire (2) du dossier disponible aux Archives Départementales du Lot & Garonne et aussi par l'ensemble des dépositions de l'instruction du procès de ZORN.

Toutefois, des questions demeurent.

Pourquoi le rapport de la P.J. de 1946 est-il resté caché aux familles des victimes ?

Alors que l'instituteur Arthur ADER avait créé un comité local de libération avec pour objet de savoir pourquoi et comment 11 victimes dans une commune rurale de moins de 400 âmes?... Le rapport  n'a été rendu légalement consultable que 60 ans plus tard. Double punition pour les victimes et leurs familles!

Pourquoi l'affaire de Saint Pierre de Clairac avec 11 victimes est-elle restée sans procès ?

Pour conclure, nous citons, et faisons nôtre, l’extrait de Jacques Brissaud qui dans la « Genèse de ces récits » issu de « Crimes de guerres en AGENAIS » notait :

« En plein accord avec mes amitiés, je n’ai point écrit ce récit pour ranimer, exciter, attiser des haines. Il est assez en terre de France, de colères, de rancoeurs sans souffler sur ces mille feux. Je ne suis le serviteur d’aucune idéologie. Très attentif seulement, je me suis penché sur un passé récent, sans haine, mais aussi sans crainte, pour l’élaboration d’une page d’histoire locale, souhaitant que ce récit des horreurs de la guerre fortifie notre amour de la paix ».

 

Sources et références

(0) Journal Le QUARANTE QUATRE du 16 octobre 1945

(1) livres du général Marcel CERONI « CORPS FRANC POMMIÉS – Tome1 La clandestinité ; Tome2 La lutte ouverte - ».

(2) dossiers d’archives du (47) – cote de classement 1W444 - « Enquête Police Judiciaire »

(3) dossiers d’archives du (47) 1738W34 - dossier 488 - « Procès HANACK »

(4) dossiers d’archives du (47) 1738W81 – dossier 836 - « Instruction GUICHARD Raymond »

(5) dossiers d’archives du (47) 1738W80 – dossier 836 - « Procès LANGE Jean »

(6) dossiers d’archives du (47) 1738W79 - dossier 827 - Procès MAILÉ Frantz

Livre du magistrat Jacques Brissaud – « CRIMES DE GUERRE EN AGENAIS »

Journal La Nouvelle République des 4 octobre 1944 et 24 juin 1945 – articles d’André BUSQUET

Journal Le Patriote des 19 et 20 octobre 1944 – articles d’Arthur ADER –

(*) Henri HANACK dit « Le balafré », jeune gestapiste, il n’a pas 20ans, né à Valenciennes de père allemand et qui sera l’ordonnateur de cette sinistre journée.

Pour plus de détails sur ce sinistre tortionnaire au service de la Gestapo d’AGEN, voir l’excellent ouvrage de J.P KOSCIELNIAK – COLLABORATION et EPURATION en Lot et Garonne.

 

SOUVENONS-NOUS

Au soir de ce 7 juin 1944 les exécutions perpétrées par la colonne SS auront faits 11 victimes à SAINT PIERRE DE CLAIRAC :

BALSAN Eugène

BAZILLE Marius Louis

CASTEX Marcel

DOSTES Gabriel Eloi Jean

DOUMIC Pierre

FONTAINE Marcel Clément Julien Romain

FROSSARD Raymond

GAENTZLER Georges

JUTEAU Marcel

ROUTABOUL Emile

SERCAN Jean

et 6 victimes au CHATEAU DE LACLOTTE ( Commune de CASTELCULIER) :

AFFLATET Emile

AFFLATET Raymond Roger

BOE Jean Clovis

BOE Marcel

GOERIG Charles

MAZEAU André
 

Le monument

Extrait du journal ’LE PATRIOTE’ du 20 octobre 1944

Ce que nous voulons faire

Eh bien, non. Nous ne laisserons pas ainsi. Ils ont mérité la gloire, ils auront une revanche. Nous voulons que leur souvenir soit gravé à jamais dans l’histoire de notre petit village et de la région entière. Nous voulons à l’endroit même où ils sont tombés, élever un monument simple, mais rappeler leur sacrifice aux générations présentes et futures.

Le Comité de Libération, le Conseil Municipal de Saint Pierre, les camarades de la Résistance des environs ont pris l’initiative d’une souscription locale qui permettra de ne pas laisser plus longtemps nos héros dans l’oubli.

Et quand, tous unis nous aurons ensemble dans une pieuse ferveur patriotique, élevé ce monument qu’ils ont bien mérité, dans une cérémonie touchante et imposante nous leur apporterons notre hommage profond.

Oui, nos pauvres morts de Saint Pierre, auront leur revanche, ainsi que leurs familles éplorées. Grâce à l’union de tous les français scellée dans leur sang, nous travaillerons ensemble à réaliser le rêve pour lequel ils se sont sacrifiés.

Nous leur devons de faire ensemble par notre union la grandeur de notre France.

A.ADER Instituteur secrétaire du Comité Local du Front National


 

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